jeudi, juin 08, 2006

La griffe de l'artiste (1/2)

Pistil blanc dans sa corolle rouge. Juste une virgule maladroite dans une phrase morbide, ton corps à la peau diaphane contraste avec le rouge intense de ton sang. Tu es comme l'iris blanc d'un œil brûlé par la mort. Je t'observe, silencieux, songeur et étrangement serein. Je viens de te tuer, toi que j'ai tant aimé, et, pourtant, je me sens bien, comme libéré de quelque chose, un peu comme après un orage quand le temps semble couler plus lentement et que la vie reprend son souffle calmement. Même au moment de te trancher la gorge, je n'ai ressenti aucune rage, aucune fureur, mon cœur n'a été pris d'aucune frénésie. J'ai juste tranché ta nuque, d'un geste vif qui repasse à présent très lentement dans mon esprit. Je sens encore le moment précis où ta peau a cédé, l'instant où la chaleur de ton sang a envahi mon visage en milles petites gouttes. Je revois encore très nettement ton regard, d'abord surpris puis effrayé quand tu as compris ce qui se passait. Et puis le son mou de ton corps désarticulé qui heurte le sol. La pièce entière était comme suspendue, flottant dans un autre monde, dérivant sur le lent courant d'une rivière de silence. J'ai reculé pour ne pas être rattrapé par ton sang qui se répandait lentement sur les pavés du salon. Un dernier tremblement puis plus rien. Tes yeux se sont éteints dans mon regard, pleins d'incompréhension et de questions qui auront l'éternité pour chercher une réponse.

Les sirènes se rapprochent. Dans quelques instants, la police sera là. Sans doute un voisin alerté par un cri que tu aurais poussé mais que je n'aurais pas entendu, trop absorbé sûrement par ta grâce qui se fanait d'un coup. Ils seront là, ces policiers aux regards froids qui chercheront eux aussi des réponses sans même s'apercevoir à quel point tu es belle. Ils ne comprendront certainement rien. Ils ne se poseront pas les bonnes questions. Ils ne respecteront même pas ce silence qui te va si bien. Je les regarderai un instant piétiner notre vie, fouiller dans notre histoire, saccager ce qui reste de nous et puis, las, je partirai, je quitterai pour la dernière fois notre appartement. Sans doute retournerai-je dans ces endroits où nous avons accroché quelques souvenirs. Je m'attarderai sur ce banc où tu aimais tant lire tandis que je me lovais contre toi. J'y retrouverai nos instants de complicité, comme accrochés dans le vide, des petites bulles qui attendent à présent ma mémoire et dans lesquels je retrouverai toutes les émotions intactes. Je t'ai tellement aimée. Je t'aime tant. Alors que toi …

La première fois que je t'ai vue avec lui, c'était dans ce café en face de cette horrible fontaine en forme de poisson. Je me promenais dans le coin sans avoir vraiment de but précis. J'ai regardé distraitement par la fenêtre du bistrot et je vous y ai vus. Ca m'a fait un tel choc que je me souviens en avoir eu physiquement mal. Mon ventre et mon cœur se sont serrés comme deux poings qui me frappaient le corps de l'intérieur. Une main froide a parcouru mon corps, faisant se dresser tous les poils de mon corps. Tu étais là, plus belle que jamais, plus souriante que tu ne l'avais jamais été avec moi. Tes yeux s'accrochaient à ses sourires de bellâtre. Tu buvais ses mots que j'imaginais pourtant insipides. Il était beau, bien sûr, surtout pour ceux qui aiment les beautés aseptisées. Il avait tout de la couverture de magazine. Si ça n'avait pas été totalement incongru dans le lieu où vous vous trouviez alors, je suis sûr qu'il aurait pris sa planche de surf pour parfaire le tableau. Tout de lui me répugnait. Son gel était immonde, son parfum, bien que ne passant pas la vitrine du café, m'écoeurait. Ses regards, surtout, m'insupportaient. Il te déshabillait des yeux, il parcourait mentalement les courbes de ton corps. J'aurais voulu te crier de ne pas le regarder. Je voulais bondir vers toi pour t'ouvrir les yeux sur ce type visiblement plus intéressé par ta plastique que par ta personnalité. J'aurais voulu te sortir de ses regards et de ses sourires fabriqués mais je n'ai rien fait. Je suis resté pétrifié sur place, silencieux, le cœur à l'arrêt et je n'ai rien fait. Un instant plus tard, je baissais la tête et continuais mon chemin. Abattu, j'étais absent de tout. Seule comptait cette tristesse qui semblait vouloir prendre ta place dans mes pensées.

Quand tu es rentrée au soir, tu ne m'as rien dit. Tu flottais sur un nuage duquel tu ne me distinguais même plus. Tu souriais dans le vide, les yeux pétillants de bonheur. Je voyais même ton chemisier vibrer au rythme fou de ton cœur. Je me suis mis à la fenêtre pour regarder la ville, comme pour me plonger dans la vie des autres, petits théâtres involontaires dont j'étais le spectateur puisque le rôle le plus important de ma carrière venait de m'être retiré. Tu as lu un peu mais, incapable de te concentrer, tu as fini par poser ton livre pour aller prendre un bain. Pour la première fois de notre vie commune, tu as fermé la porte de la salle de bain. C'était comme si tu venais de me fermer la porte de ton cœur, la porte de ton intimité, la porte de ta vie … l'accès à ce "nous" que j'aimais tant. Tu ne m'as rien dit au moment où tu es allée te coucher. Tu n'as même pas remarqué que je n'étais pas venu te rejoindre dans notre lit. Les jours qui suivirent ne firent qu'accroître cette distance entre nous.

(à suivre ...)

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Mon Dieu comme c'est... beau... et horrible à la fois... Je n'en dirai pas plus, tout est dit.

Anonyme a dit…

Tu as beaucoup de talent ... vraiment ça me donne pleins de frissons sur tout le corps ...
Félicitations

Le coeur de l'ocean