vendredi, juin 09, 2006

Sur les pavés en bas de chez moi

Sur les pavés en bas de chez moi … Des pavés usés par le passage incessant des voitures et des promeneurs. Des pavés torturés par des années à voir des vies passer sans pouvoir s'y accrocher. Des pavés qui sont petit à petit devenus mes complices, me signalant quand ma voisine de palier, juchée sur ses talons hauts, s'approche de l'entrée. Les pavés en bas de ma rue m'appellent alors en claquant de la langue, m'invitant à venir à ma fenêtre pour la voir arriver … elle à qui je n'oserai jamais parler; sans doute parce qu'elle est trop belle, parce qu'elle fait chanter les pavés en bas de ma rue alors que moi, quand je les foule de mes pieds hésitants, je n'écris aucune mélodie. Je me contente de l'observer au travers de mes rideaux, amoureux secret de celle dont je ne connais que le nom et la première lettre du prénom grâce à la sonnette et à la boite aux lettres. C'est ainsi que je suis amoureux de M. Quelle plus belle lettre que ce M qui, simplement par ce qu'elle est, invite à l'amour ? C'est le M de sa Magie, le M de ma Maladresse, le M de tout ce qu'elle rend plus Merveilleux, le M de mon Malheur … le M de nos Mais.

Sur les pavés en bas de chez moi … Des pavés malicieux qui dardent leurs yeux humides sous mes jupes mais que je fais semblant de ne pas remarquer. Des pavés qui se plaisent à rendre ma démarche difficile afin que je prenne le temps quand je passe sur eux. Des pavés qui se sont faits mes complices, petit à petit, jouant avec mes talons hauts en sonnant gaiement. Il est d'ailleurs très difficile d'y marcher avec de telles chaussures, à tel point que j'avais failli les abandonner pour des semelles plates. Mais, un jour, j'ai remarqué un rideau bouger à mon étage alors que je m'approchais de l'immeuble où je vis depuis quelques mois. Et ce manège se répétait chaque jour quand j'entrais ou sortais. A chaque fois que mes talons tapaient les pavés, le rideau de mon voisin de palier bougeait. Il m'observait. Lui que je n'osais aborder. Alors j'ai fini par garder mes talons hauts afin d'être sûre qu'il m'entende … lui dont je ne connais que le nom et la première lettre du prénom. Mais qui es-tu V ? Est-ce que tu ne regardes que moi ou es-tu un curieux qui bondit à chaque pas qui résonne dans la rue ? Sais-tu seulement, mon cher V, à quel point j'ai envie de te découvrir ?

Les pas de M viennent frapper à la porte de mes songes. Il est 17h45 et, comme chaque jour à la même heure, elle rentre de son travail. Mais que fait-elle comme métier ? Au fil du temps, j'ai fini par lui inventer une vie. Je me dis qu'elle est institutrice et qu'elle est adorée par tous les enfants qu'elle rencontre. Je la vois au milieu de tous ces bambins, captivés par celle dont la douceur inonde la classe.

C'est étrange comme on peut faire des choses idiotes par amour, même si l'amour en question est imaginaire. Ca fait presque un mois que je travaille à mi-temps. Je termine tous les jours à midi mais, pourtant, je ne rentre pas avant 17h45, comme avant. En attendant, je flâne dans les magasins, je me promène sans but, je lis dans le petit parc près de chez moi ou dans un café. Mais je n'ose pas rentrer chez moi plus tôt car j'ai trop peur que V ne soit pas à sa fenêtre. J'ai tellement besoin de ses yeux sur moi. Même voilés par son rideau, les regards de V sont une caresse exquise que ma peau me réclame sans cesse. Me priver de cet instant serait me priver du seul petit lien qui nous uni.

Je vais à me fenêtre, tremblant comme un adolescent qui va à son premier rendez-vous. Mon ventre se remplit d'une boule énorme qui ralentit mes pas. Pourvu qu'elle ne me voie pas … et en même temps, j'aurais tellement envie qu'elle me regarde en souriant … mais si elle ne souriait pas en me voyant l'observer ? Mon cœur accélère, marque un temps d'arrêt au moment où mes yeux se posent sur elle, puis repart de plus belle.

Le rideau bouge, il est là. Mon cœur s'emballe comme à chaque fois. Je me sens blêmir. Mon Dieu, que va-t-il penser de moi en me voyant à chaque fois aussi blanche ? Va-t-il remarquer ma nouvelle coiffure ? Est-ce qu'il a remarqué que je l'observais également à travers ces lunettes de soleil que je porte désormais même quand il pleut ?

Elle paraît tellement triste. Sans doute cette impression vient-elle de ces grosses lunettes de soleil qu'elle porte tout le temps comme pour cacher ses yeux rougis par des pleurs incessants. Mais qu'est-ce qui peut bien la faire pleurer ainsi ? Quels sont ses tourments ? Quel cruel mystère se cache derrière les verres fumés de ces lunettes bien trop grandes ? Tiens, elle a changé de coiffure. Une idée terrifiante me glace soudain le sang. Pourquoi ? A-t-elle rencontré quelqu'un pour qu'elle se fasse belle ainsi ? Est-elle amoureuse ?

Comme chaque jour, je prendrai mon temps pour trouver mes clefs afin que ses yeux restent plus longtemps sur moi. Comme chaque jour je marquerai encore un temps d'arrêt juste avant d'ouvrir la porte en tentant de me donner un peu de contenance par quelque pose que j'estimerai me donner l'air pensif. Comme chaque jour je me dépêcherai de monter la volée de marches jusqu'au premier et, comme chaque jour, je ralentirai une fois devant sa porte, tendant l'oreille pour essayer de capter le moindre son, pour prendre la moindre petite partie de sa vie que la porte laissera passer. Comme chaque jour, j'entrerai enfin dans mon appartement et m'en voudrai de ne pas avoir osé, cette fois-ci encore.

Cette fois, c'est décidé, avant même qu'elle ne franchisse la porte de l'immeuble, je sors de mon appartement et fais mine de devoir descendre. Je la croiserai, la regarderai droit dans les yeux en essayant de ne pas passer pour un pervers en manque, puis je lui sourirai en lui disant bonjour. Je me présenterai en lui précisant que je suis son voisin de palier. "Ca vous dirait de passer boire un verre un de ces soirs histoire de faire connaissance entre voisins ?". Oui, c'est décidé, cette fois je lui parle.

Plus que deux petits pas avant d'arriver à la porte. Deux petits pas que j'espère être les plus lents possibles. Mon pied se pose sur un des pavés en bas de chez moi. Un de ces pavés qui, une fois de plus, a eu la gentillesse de signifier ma présence à celui que j'aime de plus en plus sans même le connaître. Mon talon claque étrangement cette fois. Je sens mon pied partir sur le côté. Je ne comprends pas ce qui se passe et lâche mon sac, surprise. Mon corps prend une inclinaison inquiétante. Je tombe. Mon talon a dû glisser sur les pavés trop humides. Mes yeux pourtant ne regardent pas le sol que je m'apprête à heurter mais ils tentent de s'accrocher au regard de mon bien aimé. Il n'est pas là. Mon Dieu, il n'est pas là. Aurais-je donc rêver sa présence durant toutes ces semaines ?

Je suis sorti de mon appartement et j'attends avec impatience d'entendre la serrure céder sous les griffes précises de la clef de celle à qui je vais enfin pouvoir parler. Mon cœur est prêt à exploser mais je tente de maîtriser mon émotion afin de ne pas rester muet une fois qu'elle sera face à moi. Le temps semble se jouer de moi en s'étirant de tout son long. Sand doute est-elle encore occupée à fouiller son sac. Un sac rempli de milles choses si j'en crois le temps qu'elle met habituellement à trouver son trousseau de clefs. Je tends l'oreille. En fait, ce sont tous mes sens qui se tendent, réceptifs autant que possible à tout ce qui se passe autour de moi. Je l'attends.

Ma tête rebondit dans un bruit sourd. Ma vue se trouble puis tout devient noir. Mon crâne renonce au moment de tomber à nouveau sur l'arrête d'un pavé plus haut que les autres. Des craquements. Le silence. Le noir. Mon cœur qui tend les bras mais qui ne trouve rien à quoi s'accrocher. Puis plus rien.

Elle devrait être rentrée à présent. Sans doute a-t-elle reçu un appel de quelque bellâtre plus courageux que moi. Ou alors s'est-elle décidée à retourner auprès de celui pour qui elle s'est fait belle. Je m'assieds sur les marches de l'escalier, mes larmes enfouies dans mes bras. Des sirènes d'ambulance approchent comme pour accompagner le son glacé de mes pleurs. Ma solitude m'attend dans mon appartement. Je décide de la faire attendre encore un peu.

L'Oursin Vert

9 commentaires:

Anonyme a dit…

Tsssss, tes textes sont décidément très ciblés ces derniers temps ;-)

ça commencait bien, j'en ai même rigolé de voir ces 2 timides s'entêter à ne pas oser. A si seulement il y avait moins de timides, si les gens osaient se parler, se dire tout ce qu'il faut vraiment se dire...

Et puis, c'est triste, tellement triste que ça se termine comme ça.
J'aurai vraiment voulu que ça se finisse bien pour ces 2 idiots si attachants.

Oursin Vert a dit…

Ouaip ... c'est l'éternel problème des gens biens qui finissent toujours seuls :-p

Mais c'est promis, j'essayerai un jour de faire une fin heureuse. Bon, il faudra évidemment que je fasse preuve d'encore plus d'imagination mais je vais essayer. En fait, il me faudrait un truc super joyeux ... je sais pas ... un truc où Aline était juste un peu sourde mais qu'à la fin elle entend Christophe et va le rejoindre. Tu vois ? Un truc comme ça ;-)

L'Oursin Vert

Anonyme a dit…

Mais qu'est ce que je vais bien pouvoir trouver à dire là dessus moi? Lancer encore une fois une vague de compliments serait trop simple. Oui je pourrais dire que j'ai adoré ce que je viens de lire, que c'est tres bien écrit, que les mots titillent les neuronnes et créent d'eux meme des images et que donc l'auteur de ce texte a un vrai talent, je pourrai dire ca mais ca serait trop facile, je dois trouver autre chose(oui je sais, c'est fait, mais tais toi, je dis ce que je veux ;-p)... mais qui ici va dire que c'est nul? Franchement, vous oseriez vous, dire que vous n'avez pas aimé ce texte? Ca serait malhonnète! Alors non, je ne peux pas dire ça. En plus j'aurais droit a une répartie de l'Oursin qui me dirais quelquechose dans le style "ca manque d'objectivité" et il n'aura pas entièrement tort mais j'assume mon à priori très positif.
A l'Ami qui va encore chercher quelquechose à critiquer: la seule critique que je puisse faire est une faute de frappe... dont je ne te donnerai pas la localisation parce que franchement moi, je n'ai pas envie de critiquer... et pas seulement parce que j'adore l'Oursin, mais aussi parce que c'est vrai qu'il n'y a rien a critiquer.
Bon et heu oui la, je vais parler de moi, tout le monde s'en fiche, mais je vais le dire quand meme: ce texte me touche particulièrement d'une façon presque indéfinissable par une sorte d'impression de déja vu ou de presque vécu.
Enfin bref je me comprends. Suis je la seule? :-s
Et voila, le bal des commentaires est ouvert, qui veut complimenter notre boule de pics préferée? A votre bon coeur Mesdames, Messieurs :-)

Anonyme a dit…

Whooow,...whoww....ce sont les premiers mots que j'ai prononcés à la fin de la lecture de ce texte !. Perplexe devant tant de talent ! Pour être honnête, je ne suis généralement pas trop senssible à ce genre...et pourtant, içi...whow..je suis vraiment admiratif..voir même un peu jaloux de ne pas pouvoir faire un truc comme cela !..(et non cela ne s'apprend pas !). Pour résumer j'ai adoré ! J'ai commencé à le lire sans plus d'anthousiasme que cela, mais rapidement, je me suis laisser prendre au jeu !.. Cette alternance de la vision des choses de chacun des protagonistes rend le tout encore plus attachant !.. Vraiment vraiment un très très beau texte !...
**
Je ne sais pas si une tel demande est déplacée ou non,...réalisable ou pas,... audacieuse ou pas !... mais, pourquoi ne pas faire une suite (voir même heureuse) à ce texte. Tu vois un genre, à épisode. Tu pourrais repartir de la fin et poursuivre leur aventure.. je suis certains que cela ferait plaisir à d'autres que moi.. Je sais que c'est un peu "délicat" de faire ce genre de demande,.. mais mon envie et admiration en sont le moteur... Enfin dans tous les cas,.je fais un "Standing up".. merci pour ce bon moment...

Oursin Vert a dit…

Merci beaucoup Roland :-)

Bon, comme Anita et toi me demandez une suite, je promets d'y réfléchir. Il faut juste que je trouve le temps de coucher une autre histoire qui hante mes pensées.

A votre service
A vos sévices
A vos vices

L'Oursin Vert

Anonyme a dit…

Ben moi, je vais oser dire que je n'ai pas aimé. Parce que ça ne finit pas bien. Parce que cette fin n'est pas celle que j'espèrais. Parce qu'ils ne méritaient pas ça. Parce que j'aurait tant aimé qu'ils finissent par se trouver, se parler, s'avouer. Que j'aurai aimé qu'elle porte un chapeau assez épais pour amortir la chute, qu'elle ne soit qu'endormie, qu'elle se réveille dans quelque temps et qu'enfin elle le retrouve, pour qu'enfin ils vivent pleinement, sans se cacher, leur bonheur à portée de main...

Ha si seulement on avait le controle sur les personnages, ne serait-ce qu'une infime possibilité d'intervenir avant ... qu'ils ne bétisent, j'aurai jetté cette oreiller pour amortir la chute, j'aurai remplacé ces chaussures pas des Nikes, j'aurai couvert ces pavés par du sable pour y dessiner son doux visage qui lui sourirait.

Mais voila, je ne suis qu'un spectateur frustré.
Et maintenant obligé de chercher un truc super joyeux. Lycos !! Au pied !!!!

Oursin Vert a dit…

C'est l'histoire de deux grenouilles amoureuses. Elles sont tellement dingues l'une de l'autre qu'elles décident de vivre ensemble dans un endroit un peu retiré afin de roucouler en paix. C'est pour ça qu'elles choisissent d'aller dans l'autre monde, là-bas, de l'autre côté de la route.

Elles sont belles les deux grenouilles. Quand l'une dit qu'elle croit en eux, l'autre répond qu'elle aussi elle y croâ. Elles avancent ensemble, bondissant l'une après l'autre sur un rythme léger. Les yeux dans les yeux, elles se racontent en silence leurs désirs et leurs espoirs.

Soudain, une voiture arrive, crevant la nuit, déchirant le silence. Elle avale la route ... bête enragée et affamée ... aveuglée par sa course, elle ne voit pas les deux petites grenouilles. L'une avance ... juste un bond ... juste un tout petit bon et puis ....

Plus rien. Le noir. La vie qui s'écoule froidement de ses veines pour ne plus devenir qu'une tache sur la route trop sombre.

L'autre petite grenouille, restée un peu en arrière, regarde sa promise écrasée et dit alors : "ça tombe bien, j'avais envie d'une pizza !"

L'Oursin Vert ... première tentative dans le monde joyeux de fins heureuses ;-)

Anonyme a dit…

Haaa, ben voilà. C'est bien ce que je disais, le talent, c'est lui qui l'a :-p

Sinon, pizza à la grenouille.. bof :-/

Re-sinon, en parlant route, j'ai un truc que je voulais te faire voir, mais comme on va pas se croiser avant un moment...

(Attention, ça fait dans le 78 Mo.)
Rien de Grave, ça vient d'ici

(fin de parenthèse hors contexte)

Anonyme a dit…

Ben oui comme tout le monde je me permet d'ajouter que tu es génial !!! ben oui ... mais bon tu le savais déjà !!! J'adore tes mots et toute ta sensualité à travers cette douce histoire d'amour ...
Félicitations cher Maitre !!!

"M" ... pourquoi M justement ???

Le coeur de l'océan